Limites de la pratique bloquée ou du drill
Des élèves peuvent s’engager dans du drill ou de la pratique bloquée en classe ou en autonomie. Cela se manifeste lorsqu’ils s’entrainent à appliquer une procédure en répétant d’affilée la résolution d’exercices du même type, ce qui leur permet de développer rapidement des automatismes et d’atteindre un surapprentissage.
Le bachotage, tout comme une pratique de récupération espacée, peuvent reproduire ce phénomène de pratique bloquée dans la mesure où les exercices d’un même type sont rassemblés.
La pratique bloquée (ou drill) est prévalente dans la plupart des manuels de mathématiques ou de sciences par exemple, et dans de nombreuses ressources en ligne. Tous les exercices pour un élément donné de matière ou appliquant une procédure type sont généralement regroupés par défaut. Cette structuration induit l’adoption d’une pratique bloquée et l’usage systématique du drill.
On peut raisonnablement se demander si des éléments probants la soutiennent. Plus précisément, une fois qu’un élève a travaillé sur quelques problèmes mobilisant la même compétence ou le même concept, y a-t-il un avantage à travailler immédiatement sur d’autres problèmes du même type ? Peu de recherches ont exploré cette question, mais il en existe.
Des études sur l’apprentissage verbal ont examiné les effets de la pratique bloquée, après que les élèves aient atteint un critère de performance. Dans ces études, les sujets ont pratiqué une tâche jusqu’à ce qu’ils atteignent un critère d’une réponse correcte avant d’abandonner. Alternativement, ils ont poursuivi l’exécution de la même tâche en maintenant un haut niveau de succès.
Les sujets qui ont continué à pratiquer ont obtenu de meilleurs résultats lors d’un test ultérieur (par exemple, Gilbert, 1957 ; Krueger, 1929 ; Postman, 1962 ; Rose, 1992). Cet effet a été confirmé par une méta-analyse (Driskell, Willis, & Copper, 1992) qui a également révélé que cet effet immédiat diminue rapidement après un délai de test supérieur à une semaine.
L’entrainement juste après un niveau de maitrise semble améliorer l’apprentissage à court terme de certains types de tâches. Il y a des raisons de penser que cela pourrait être également le cas en mathématiques.
Par exemple, la résolution répétée de problèmes du même type pourrait réduire les exigences de la mémoire de travail. Or on sait que la charge de la mémoire de travail peut entraver la performance dans une variété de tâches. Ce phénomène se retrouve dans la résolution de puzzles (Kotovsky, Hayes, & Simon, 1985) et la récupération de la mémoire à long terme (Baddeley, Lewis, Eldridge, & Thomson, 1984).
De même, dans de nombreuses études, les problèmes d’entrainement aux mathématiques étaient plus efficaces lorsqu’ils étaient modifiés de manière à réduire la charge cognitive. La charge cognitive s’apparente à la charge de la mémoire de travail (Sweller, 1994).
De même, la pratique bloquée pourrait favoriser l’apprentissage en réduisant le nombre d’erreurs commises par les élèves. Selon le raisonnement qui sous-tend la stratégie connue sous le nom d’apprentissage sans erreur, les erreurs pourraient entraver l’apprentissage. Elles sont susceptibles de renforcer l’association entre un certain type de problème et la solution incorrecte (Skinner, 1958).
Par conséquent, le drill peut diminuer la charge sur la mémoire de travail et diminuer le taux d’erreur jusqu’à un certain point.
Or on peut estimer que l’automatisation qui permet de diminuer la charge cognitive sur la mémoire de travail a ses limites et que le retour d’information sur les erreurs peut lui-même améliorer l’apprentissage. Ces effets de la pratique bloquée ont donc eux-mêmes leurs limites.
La pratique bloquée est utile jusqu’à un certain point. Au-delà de l’atteinte de la fluidité, ce qui correspond à un niveau de surapprentissage. Dans un contexte similaire, qui est celui de l’usage des flashcards, il est recommandé de les apprendre une première fois jusqu’à pouvoir réciter leur contenu trois fois sans erreurs.
Il semble y avoir un avantage à poursuivre l’apprentissage initial jusqu’au surapprentissage. Toutefois, cet apprentissage initial reste très sensible à l’oubli.
Il y a lieu de le renforcer par une pratique distribuée. C’est à ce niveau-là que la pratique massée perd de son intérêt et bénéficie à être remplacée par une pratique entremêlée qui va mélanger les types d’exercices et de questions. Cette démarche permet aux élèves de mémoriser plus d’indices contextuels et de développer leur capacité de discrimination (déterminer à la lecture de l’énoncé ce qui est attendu). Ces deux dimensions ne sont pas développées dans une pratique bloquée, car l’ordre des questions devient prévisible.
Le piège principal de la pratique bloquée est qu’elle est simple à planifier à concevoir et à exécuter, pour des bénéfices limités.
Un autre problème de la pratique bloquée est qu’elle peut reposer sur des conceptions erronées de l’apprentissage. Avec la pratique bloquée, les élèves connaissent la stratégie pour chaque problème avant de le lire. La fluidité qui en résulte, bien qu’illusoire, peut amener les élèves et les enseignants à croire à tort que le drill améliore l’efficacité de l’apprentissage (Koriat & Bjork, 2005).
De même, la pratique bloquée pourrait prédominer dans les manuels simplement parce que les auteurs trouvent pratique de faire suivre chaque thématique d’un groupe de problèmes consacrés à cette thématique.