Modèles liés à l’instructionnisme et à l’enseignement efficace
Situer la démarche instructionniste
Le terme instructionniste regroupe l’ensemble des approches dans lesquelles l’enseignant fait apprendre des contenus scolaires de manière systématique, structurée et explicite à ses élèves, en procédant principalement du simple vers le complexe.
Cela traduit également une vision spécifique du rôle fondamental attribué à l’école. Enseigner c’est transmettre des connaissances et des habiletés, de l’enseignant, celui qui sait, vers l’élève, celui qui ne sait pas encore.
Dans cette logique, les pratiques d’enseignement sont susceptibles d’être évaluées. L’enseignement est susceptible dès lors d’être amélioré afin d’obtenir de meilleurs résultats d’apprentissage. Dès lors, les modèles basés sur une approche instructionniste tiennent compte des données probantes liées à l’efficacité des pratiques pédagogiques employées. En ce sens, les notions d’instructionnisme et d’enseignement efficace sont fort proches.
Les modèles et théories, correspondant aux approches instructionnistes, ont été élaborés en grande part à partir de recherches et d’observations en classe, pour ne citer que l’étude Follow Through, ou évalués dans des expériences sur le terrain.
Les résultats de la méga-analyse réalisée par Steve Bissonnette, Mario Richard, Clermont Gauthier et Carl Bouchard en 2010 sont clairs. Ils montrent que des approches qualifiées d’instructionnistes ont une efficacité supérieure à celles centrées sur la découverte (constructivistes) pour assurer la réussite scolaire des élèves.
Vue d’ensemble des modèles liés à l’instructionnisme et à l’enseignement efficace
Différentes approches appartenant à la famille instructionniste s’implantent progressivement dans le paysage pédagogique :
En ce qui concerne l’enseignement en classe, l’enseignement explicite dont les principes ont été posés à l’origine par Barak Rosenshine semble s’imposer. Le terme est fédérateur en contexte francophone.
L’enseignement explicite partage beaucoup de caractéristiques avec ce que Siegfried Engelmann a lui-même défini pour l’approche « direct instruction ». Pour cette raison, certains chercheurs comme Maryse Bianco (2023) utilisent indifféremment les expressions d’enseignement direct ou explicite.
Dans un contexte anglophone, le terme « direct instruction » est de même utilisé indifféremment. Il désigne à la fois l’approche d’Engelmann et celle de Becker et pour désigner également tout programme très structuré, dirigé par l’enseignant et basé sur l’explication, le modelage (démonstration) et la pratique.
Parallèlement, il existe différentes approches congruentes avec l’enseignement explicite. Nous pouvons citer actuellement The Great Teaching Toolkit, Wijze Lessen, Teaching WalkThrus ou encore Teach Like a Champion, etc. De même, un recouvrement de plus en plus important se fait entre la science de l’apprentissage et des théories comme la théorie de la charge cognitive ou la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia. Les théories de la motivation elles-mêmes apportent des arguments à une approche instructionniste. Une autre convergence se fait avec l’évaluation formative et l’évaluation soutien d’apprentissage qui amènent à l’émergence du concept d’enseignement adaptatif lui-même fort proche de l’enseignement explicite.
En ce qui concerne des approches plus systémiques au niveau de l’école, nous pouvons citer comme exemples :
L’analyse appliquée du comportement dans sa traduction la plus évidente en contexte scolaire est le soutien au comportement positif (SCP/PBIS) qui s’intéresse à la gestion du comportement. Le soutien au comportement positif se fonde essentiellement sur l’enseignement explicite du comportement.
L’apprentissage coopératif mis en œuvre par la fondation Success for All (fondée par Robert Slavin et Nancy Madden) qui concerne un millier d’écoles aux USA. Il s’agit d’un programme axé sur la réussite scolaire qui s’adresse aux élèves défavorisés, est conçu pour prévenir ou intervenir dans le développement de problèmes d’apprentissage au cours des premières années de l’enseignement.
L’approche de la réponse à l’intervention pour faire face aux difficulté de comportement ou d’apprentissage.
Différents autres modèles spécifiques, avec chaque fois leurs particularités, ont été portés historiquement par, entre autres :
Siegfried Engelmann and Wesley C. Becker: Direct Instruction, Distar
Benjamin Bloom : Mastery Learning
Odgen Lindsley : Precision Teaching
Madeline Cheek Hunter: Instructional Theory into Practice
David P. Ausubel : Advance organizers
Roland G. Tharp & Ronald Gallimore: Theory of teaching as assisted performance
Robert M. Gagné : Conditions of learning
Thomas L. Good & Douglas A. Grouws: Mathematics Effectiveness Project
Robert Slavin : QAIT model
Dans une certaine mesure, le Visible Learning de John Hattie, l’EEF (UK), le WWC (USA), Deans for Impact (USA) et les différents projets de Robert J. Marzano entrent en résonance avec l’approche instructionniste. Leurs démarches ont en commun d’appuyer leur validation à travers les principes de l’éducation basée sur des données probantes, et donc retrouvent et confirment des caractéristiques convergentes.
De manière assez paradoxale, différentes approches modérées du constructivisme qui tiennent compte des spécificités propres à la science de l’apprentissage et à la psychologie cognitive ont tendance à aboutir à des modèles surprenants. Ceux-ci présentent de nombreux points communs et rapprochements avec l’instructionnisme même s’ils peuvent garder certaines spécificités :
P. David Pearson & Margret C. Gallagher : Gradual release of responsibility (1983)
Ce modèle suggère que le travail cognitif devrait passer lentement et intentionnellement du modèle de l’enseignant à la responsabilité conjointe de l’enseignant et des élèves, puis à la pratique et à l’application indépendantes par l’apprenant (Pearson & Gallagher, 1983).
Ce modèle fournit une structure permettant aux enseignants de passer d’une situation où ils assument « toute la responsabilité de l’exécution d’une tâche… à une situation où les élèves assument toute la responsabilité » (Duke & Pearson, 2004).
Le modèle s’appuie sur les travaux de chercheurs comme Piaget, Vygotsky, Bandura ou Bruner. Le point de vue général est que l’apprentissage se produit par le biais d’interactions avec d’autres personnes et que lorsque ces interactions sont intentionnelles, un apprentissage spécifique se produit.
La mise en œuvre comporte typiquement quatre éléments (Fisher & Frey, 2008) :
Leçons ciblées.
L’enseignant définit et communique l’objectif de la leçon.
L’enseignant modélise son raisonnement et fournit aux élèves des exemples.
L’enseignement guidé.
L’enseignant utilise stratégiquement des questions, des incitations et des indices pour faciliter la compréhension de l’élève.
Il peut le faire avec des groupes entiers d’élèves ou avec des petits groupes constitués en fonction des besoins pédagogiques.
Pendant l’enseignement guidé, l’enseignant s’efforce de confier des responsabilités aux élèves tout en leur fournissant des supports pédagogiques pour s’assurer qu’ils réussissent.
Travail de groupe productif.
Les élèves travaillent en groupes collaboratifs pour produire quelque chose en rapport avec le sujet traité.
Pour être productif, le travail de groupe doit impliquer que les élèves utilisent un langage scolaire et qu’ils soient individuellement responsables de leur contribution à l’effort.
Cette phase de l’enseignement doit permettre aux élèves de consolider leur compréhension avant de l’appliquer de manière autonome.
Apprentissage autonome :
De nombreuses tâches d’apprentissage autonome sont utilisées comme des évaluations formatives, conçues pour vérifier la compréhension et identifier les besoins de réapprentissage.
Les tâches d’apprentissage autonome ne doivent pas intervenir trop tôt dans le cycle d’enseignement, car les élèves ont besoin de s’exercer avant de pouvoir appliquer suffisamment leurs connaissances dans de nouvelles situations.
Rand Spiro, Richard Lorne Coulson & Paul J. Feltovich: Cognitive Flexibility Theory (1988)
Les activités d’apprentissage doivent fournir des représentations multiples du contenu.
Le matériel didactique devrait éviter de simplifier à outrance le contenu appartenant au domaine et soutenir la connaissance en fonction du contexte.
L’enseignement devrait être fondé sur des cas et mettre l’accent sur la construction des connaissances et non sur la transmission de l’information.
Les sources de connaissances devraient être fortement interconnectées plutôt que compartimentées.
Allan Collins, John Seely Brown & S E Newmann : Cognitive Apprenticeship (1989)
(source : Mental Models & Instructional Planning—Scientific Figure on ResearchGate.)
(source : The Development of Metacognition in Primary School Learning Environments—Scientific Figure on ResearchGate)
Ces trois approches ont le désavantage d’être un peu tardives. Suivant le principe du winner takes it all, il est probable que l’enseignement explicite ait l’avantage avec la précision, la concision et l’avantage historique des écrits de Barak Rosenshine.