Un équilibre entre instruction et émancipation
Une double mission d’instruction et d’émancipation
Jere Brophy (1988) a décrit quatre fonctions majeures de l’enseignement :
La gestion de classe au sens strict : par exemple l’établissement de règles et de procédures.
La socialisation des élèves : par exemple tout ce qui regroupe les actions portant sur les valeurs, la citoyenneté, la confiance en soi, l’émancipation sociale, etc.
L’intervention disciplinaire : par exemple les mesures prises pour mettre un terme aux mauvais comportements.
L’enseignement : stricto sensu, les moyens d’acquisition des compétences scolaires.
Nous ne pouvons négliger aucun de ces aspects avant de poser un regard sur la nature et les finalités de formes pédagogiques différentes.
À côté de l’éducation (gestion du comportement) et du transfert de connaissances (gestion de l’enseignement), l’école a également une mission d’émancipation sociale. Elle doit répondre à des exigences supplémentaires tout aussi nécessaires au futur de ses élèves. Cela se passe par des activités liées à l’orientation, à la citoyenneté, à la confiance en soi, au développement de l’autonomie et à la capacité d’intégration dans la société.
Si ces exigences répondent moins à celles d’un savoir codifié, elles en émanent toutefois et sont rendues possibles à travers lui. Nous ne saurions par exemple guider et conseiller efficacement un élève dans les démarches entreprises dans le cadre de son orientation sans lui enseigner explicitement certains savoirs et principes. Ces derniers sont liés à l’organisation de l’enseignement et aux réalités socio-économiques. De même, un élève a besoin d’être guidé dans le développement de ses stratégies de recherche d’information et d’analyse critique. Il a besoin d’être accompagné dans la prise en compte des différents facteurs pertinents, afin de mieux nourrir et guider ses propres choix à venir.
L’idée d’un équilibre entre instruction et émancipation
Tom Sherrington (au sein de son livre « The Learning Rainforest », 2017) développe la métaphore d’un tronc de la connaissance d’où émergerait une canopée, transformant les résultats de l’apprentissage en un épanouissement de l’apprenant.
Tom Sherrington introduit l’idée de deux modes dans l’enseignement pour y parvenir :
Un mode A équivalent à un enseignement dirigé ou explicite
Un mode B équivalent à une approche par la découverte plus ou moins guidée
Le mode A est d’influence instructionniste. Il comprend tous les éléments qui permettent de favoriser et stimuler l’apprentissage des élèves d’un point de vue cognitif, comportemental et motivationnel. Il s’agit avant tout d’un enseignement guidé par l’enseignant, explicite. Celui-ci déploie en fonction du contexte, différentes approches, outils et pratiques, ayant tous comme dénominateur commun un souci d’efficacité.
Le mode B de l’enseignement comprend les approches qui s’inscrivent dans une visée plus subjectiviste et personnelle, plus en lien avec les caractéristiques propres à l’élève. Il a pour visée d’explorer les possibilités du monde qui nous entoure et d’y trouver sa place. La pédagogie de projet, de même que tout ce qui est de l’ordre du développement personnel, par exemple, en font partie. Le mode B permet de donner des choix aux élèves, de se découvrir et de se tester. Il propose une plus grande diversité de cheminements possible en fonction des affinités propres. Il laisse les élèves explorer des idées de manière plus indépendante, il les confronte à des modèles qui peuvent ou non leur correspondre. Les élèves découvrent la spécificité d’approche ou essaient d’être créatifs.
La lecture que fait Tom Sherrington de cette quasi-dichotomie, qui dans la réalité doit plus s’apparenter à une distribution bimodale, est intéressante. Cette vision permet de pointer une divergence des finalités qui révèle une complémentarité utile et enrichissante, au-delà d’une perceptible opposition.
Ainsi, l’enseignant en fonction de ses objectifs prioritaires et de ses ressources doit définir un équilibre optimal entre ces deux modes.
Tom Sherrington refuse de donner une estimation définitive et propose une vision qui lui est propre en tant qu’ancien enseignant du secondaire en physique et en mathématiques. Il s’agit pour lui de conserver pour guide : au moins 80 % du temps en mode A et pas plus de 20 % en mode B.
Il précise que ces proportions sont susceptibles d’être revues dans d’autres matières où les contraintes liées à l’apprentissage sont moins sévères et où le cadre est plus ouvert. Il s’agit simplement de bien séquencer et structurer l’enseignement pour que l’apprentissage s’appuie sur des bases solides.
Le mode A, celui d’un enseignement efficace et instructionniste semble d’emblée plus crucial pour les élèves que le mode B, celui d’un apprentissage autonome facilité et plus ou moins guidé par l’enseignant.
Nous pouvons supposer que ce mode A se traduit en un apprentissage efficace qui permet un accès plus égalitaire à l’autonomie. Identiquement, c’est un apprentissage dirigé qui permettra de libérer du temps de qualité pour poursuivre les différentes missions de l’école.
En ce sens, la formation continuée des enseignants aurait tout intérêt à renforcer une forme d’enseignement guidé et efficace de qualité. À côté de cela, dans une approche complémentaire, elle doit également accompagner les enseignants pour le mode B. Il faut que les enseignants puissent soutenir les élèves dans l’exploration de leurs particularités, envies et qualité, dans leurs rencontres dans un cadre professionnel et leur récolte d’information en vue de définir des choix d’étude personnels.