Deux systèmes de gestion de la pensée
Prendre le contrôle de sa pensée
Pour résoudre un problème nouveau ou pour faire face à une situation qui est nouvelle pour nous, nous devons prendre le contrôle de notre pensée. Nous devons sortir de nos automatismes et de nos habitudes. Nous ne pouvons nous fier à notre première intuition. L'élaboration d'une solution implique un raisonnement logique.
Considérons l’énigme suivante, le principe est de la lire relativement rapidement et de donner spontanément la réponse dans la foulée :
Une personne se rend au cinéma pour voir un film et effectue un passage (payant) aux toilettes. Au total, elle débourse 11 euros.
Le ticket pour le film coûte 10 euros de plus que l’accès aux toilettes payantes.
Combien coûte l’accès aux toilettes ?
Après la lecture, assez facilement, nous sommes en mesure de donner une réponse intuitive immédiate à cette question. Nous pouvons même nous sentir confiants quant à l’exactitude de notre réponse.
L’accès aux toilettes nous parait spontanément être de 1 euro.
Pourtant, cette réponse est erronée. L’accès aux toilettes est en réalité de 50 cents.
Pour répondre correctement à cette énigme, il est absolument nécessaire de contrôler notre intuition première et de la bloquer. En l’absence de contrôle, cette intuition se traduit en une réponse quasi instantanée, mais erronée.
Un temps de réflexion, mettant en jeu des processus mentaux requérant des efforts d’attention et un raisonnement mathématique, est nécessaire afin de trouver la bonne réponse.
Dans ce genre de situation, habituelle en contexte scolaire, le contrôle de soi a pour rôle de contrôler, d’inhiber, de réfréner l’intuition première afin que le raisonnement réfléchi puisse prendre le dessus et produire une réponse de meilleure qualité.
Système chaud 1 / système froid 2
Un premier modèle (Metcalfe & Mischel, 1999) explicatif de la capacité de contrôle de soi implique des interactions entre :
Un système chaud régi par des processus automatiques ou des pensées intuitives, sous l’influence directe des stimuli de l’environnement :
Il serait le siège des émotions, des peurs, des passions ou des pulsions.
Il saute vers les conclusions, il est automatique, rapide, facile.
Un système froid régi par les processus non automatiques, cognitifs ou des pensées rationnelles.
Il serait le siège de l’autorégulation et du contrôle de soi.
Il est réflexif, logique, plus lent.
Il doit être mobilisé. Pour cela, nous devons porter activement et volontairement attention à la situation.
Cette subdivision est équivalente à cette proposée par Daniel Kahneman (2012). Le système 1 correspondant au système chaud et le système 2 correspondant au système froid.
Plus le système froid prédomine sur le système chaud, plus le contrôle de soi est efficace :
Les représentations froides seraient connectées les unes aux autres au sein du système froid.
Les représentations chaudes seraient indépendantes les unes des autres au sein du système chaud.
L’activation de toute représentation chaude peut s’accompagner ou non de l’activation d’une représentation froide et inversement. Les deux systèmes peuvent interagir et nous pouvons opter pour un mode de raisonnement plutôt qu'un autre.
La nature des interactions entre les représentations à l’intérieur de chaque système et entre ces deux systèmes rend compte des processus qui autorisent ou amoindrissent la maîtrise de soi.
Pour que le contrôle de soi puisse fonctionner, il est nécessaire qu’il y ait un phénomène d’activation sélective. En situation de résistance, nous devons avoir le plus large réseau possible de représentations froides (ou rationnelles) afin de garantir que celles-ci prédominent sur les représentations chaudes (ou impulsives). Cette prédominance garantirait alors le contrôle de soi.
D’après ce modèle, la maîtrise de soi reposerait sur des processus mentaux permettant de volontairement investir le domaine de la raison avec des traitements cognitifs non automatiques, plutôt que suivre la pulsion animée par des traitements automatiques.
Les interconnexions entre les systèmes, avec l’activation sélective des représentations froides pertinentes, permettent à l’individu de détourner l’activation du système chaud et de l’action immédiate qui l’accompagne. Il va s’engager à la place — automatiquement ainsi que stratégiquement, et de façon intentionnelle — dans la pensée froide, y compris l’imagination, la rumination, le souvenir et la planification.
Le modèle de Metcalfe et Mischel (1999) pose la maîtrise de soi comme l’élément clé qui contrôle la distinction entre les processus automatiques et les processus non automatiques. Les processus automatiques opèrent rapidement et sans attention. Ils sont rigides. Les processus contrôlés opèrent lentement, mobilisent grandement l’attention et sont flexibles.
Cette distinction sous-tend deux systèmes distincts de pensée :
La pensée intuitive correspond au système 1 / système chaud
La pensée rationnelle correspond au système 2 / système froid.
La pensée intuitive serait menée par les processus automatiques et la pensée rationnelle par les processus non automatiques.
L'importance du contrôle de soi et de sa facilitation
Les processus du système 1 surviennent de façon spontanée et consomment peu d’attention. En revanche, les processus du système 2 requièrent de l’effort, de la motivation, de la concentration et l’exécution volontaire de règles apprises.
La majorité des pensées et comportements opèrent probablement sur un mode automatique, impliquant peu d’efforts d’attention. Mais pour une minorité de pensées et de comportements, le mode non automatique prédomine et implique de passer outre les désirs, les idées premières et les patterns de comportements habituels.
Lorsqu’il est difficile de passer outre les automatismes cognitifs et comportementaux, la maîtrise de soi joue un rôle prépondérant en cela qu’elle permet la réflexion approfondie et la génération de comportements appropriés.
Dans ce contexte, la maîtrise de soi peut être envisagée comme l’ensemble des processus attentionnels non automatiques. C’est le cas dans la mesure où l’individu force son comportement en le contrôlant plutôt qu’en laissant s’exprimer les réponses habituelles et automatiques.
Considérons des situations de classe où le contrôle de soi des élèves peut être mis à rude épreuve, par exemple :
Les élèves peuvent avoir une interrogation importante plus tard dans la journée qui génère de l’anxiété et ils voudraient revoir plutôt que de suivre le cours actuel.
Un conflit non encore résolu a éclaté plutôt dans la journée entre élèves et ils souhaiteraient tâcher de le résoudre plutôt que de se concentrer sur les tâches proposées par l’enseignant.
Certains élèves n’ont pas déjeuné et des odeurs de nourriture envahissent la classe par la fenêtre. Ils peuvent être très tentés de prendre un en-cas qui se trouve dans leur sac malgré l’interdiction de manger en classe.
Ces trois exemples illustrent comment le contrôle de soi est mis à rude épreuve pour ces élèves. Ils montrent également comment l’enseignant peut contribuer à faciliter leur engagement en détournant leur attention sur des activités qui peuvent générer un état d’esprit positif et occuper l’esprit. Sans cela, leur attention pourrait être capturée par ces impulsions et être totalement détournée des tâches en cours en classe.
Pour garder leur focus, l’enseignant ou l’élève doivent tâcher de supplanter ces représentations chaudes grâce à l’activation d’un important réseau de représentations froides en lien avec le cours présent, sans rapport avec les stimuli externes.
La difficulté que l’on rencontre à mobiliser le système froid/système 2 est que notre budget d’attention est limité. Ce système requiert en effet de l’énergie et génère plus de fatigue que le système chaud/système 1.
Le système 1 opère automatiquement et immédiatement sans effort ni contrôle particulier. Le système 2 entre en action lorsque l’on alloue volontairement un effort mental à une tâche, un choix ou un problème.