Distinguer une approche ascendante ou descendante pour les apprentissages complexes
Le principe d’emprunt et de réorganisation, ainsi que l’analyse moyens-fins, sont deux concepts importants en psychologie cognitive, particulièrement dans le domaine de la résolution de problèmes et de l’apprentissage.
Une approche descendante : l’analyse moyens-fins
L’analyse moyens-fins (means-ends analysis) est une heuristique de résolution de problèmes largement étudiée en psychologie cognitive, notamment dans les travaux de Newell et Simon (1971). Elle correspond au principe du hasard et de la genèse dans le cadre de la théorie de la charge cognitive.
Lorsque nous voulons apprendre quelque chose et que nous sommes seuls et sans ressources à notre portée pour nous informer, l’approche la plus élémentaire est alors de s’engager dans une démarche d’essai et d’erreur.
Nous nous engageons dans une analyse moyens-fins pour résoudre un problème nouveau pour nous. Nous cherchons à réduire la distance entre l’état actuel du problème et l’état final souhaité en identifiant les différences et en sélectionnant des opérateurs (actions, outils ou étapes) qui peuvent réduire ces différences.
L’analyse moyens-fins consiste à :
Identifier l’état final souhaité (la fin), l’objectif final à atteindre.
Comparer cet état final souhaité avec l’état actuel, c’est-à-dire la situation actuelle.
Déterminer les écarts entre les deux.
Choisir des actions (les moyens) qui réduisent ces écarts pour s’approcher de l’objectif final. Pour chaque différence, les opérateurs qui peuvent réduire ou éliminer cette différence sont identifiés et testés.
Une fois l’opérateur appliqué, l’état du problème est mis à jour, et le processus est répété jusqu’à ce que l’état final souhaité soit atteint ou jusqu’à l’abandon.
C’est cette approche qui est mobilisée lors l’apprentissage par la découverte, par exemple en confrontant les élèves d’emblée à des situations complexes. C’est une forme d’approche descendante de la résolution de problème. On part du complexe pour comprendre et apprendre le complexe. Ce n’est pas l’approche la plus efficace.
Une approche ascendante : le principe d’emprunt et de réorganisation
Nous pouvons avoir autour de nous quelqu’un qui sait ou peut déjà faire la chose en question. Alternativement, nous pouvons avoir à notre disposition des ressources écrites ou un tutoriel qui nous explique comment faire. L’approche la plus élémentaire est de poser des questions ou de s’en inspirer. C’est l’apprentissage par l’imitation qui est une approche ascendante, car on part du simple pour se diriger vers le complexe. Il correspond au principe d’emprunt et de réorganisation dans le cadre de la théorie de la charge cognitive.
Par exemple pour replier une tente qui se déplie automatiquement, il sera plus efficace de se référer à un tutoriel vidéo que de chercher par soi-même.
Le principe d’emprunt et de réorganisation est un concept central dans la théorie de la charge cognitive de John Sweller. Il décrit un mécanisme fondamental de l’apprentissage et de l’acquisition de connaissances complexes.
Il se base sur l’idée que pour apprendre efficacement des informations complexes, les individus ont tendance à emprunter des schémas de connaissances ou des procédures déjà établies. Ce sont souvent des exemples de tâches complexes ou de problèmes résolus, des démonstrations, ou l’enseignement d’un expert. Ensuite, il les réorganise ou les intègre à leurs propres connaissances existantes en mémoire à long terme. :
L’emprunt : Au lieu de partir de zéro pour résoudre chaque nouveau problème par l’analyse moyens-fins, l’apprenant observe des exemples résolus ou des démonstrations d’experts. Il emprunte les étapes, les stratégies ou les solutions présentées.
La réorganisation : Ces informations empruntées ne sont pas simplement copiées. Elles sont activement traitées et intégrées aux connaissances que l’apprenant possède déjà. Cela conduit à la formation de schémas (structures de connaissances organisées) plus robustes et automatisés en mémoire à long terme. Ces schémas permettent de traiter des informations complexes comme des unités uniques, libérant ainsi des ressources de la mémoire de travail.
Cette réorganisation permet de créer de nouveaux schémas cognitifs plus complexes et efficaces, réduisant ainsi la charge cognitive future lors de la résolution de problèmes similaires.
Ainsi un élève qui apprend à résoudre un nouveau type de problème mathématique va perdre du temps s’il s’engage dans une analyse moyens-fins.
Au lieu d’essayer toutes les combinaisons possibles (essais-erreurs), il étudie des exemples de problèmes résolus. Il emprunte la méthode de résolution (les étapes, les formules utilisées). En pratiquant, il réorganise ces informations dans sa mémoire pour créer un schéma mental qui lui permettra de résoudre rapidement et efficacement des problèmes similaires à l’avenir.
L’important de la pédagogie pour l’approche ascendante
L’imitation en tant que pédagogie est naturellement ancrée en nous tous. L’imitation fonctionne bien pour des tâches relativement simples et appartenant au domaine des connaissances biologiques primaires.
Elle est beaucoup moins efficace lorsque la tâche concernée :
Est plus complexe
Appartient au domaine des connaissances biologiques secondaires (incluant les connaissances scolaires)
Contient une hiérarchie
Dépend de la maitrise d’autres aspects internalisés (c’est-à-dire de la présence de connaissances préalables en mémoire à long terme).
Par exemple, essayer de copier les mouvements d’un pianiste de concert ne serait pas le moyen le plus efficace ou le plus efficient d’apprendre à jouer du piano. Ce serait l’équivalent d’une approche descendante qui part du complexe, car toute une série de connaissances nécessaires serait implicite.
La plupart des cours de piano impliquent un enseignement explicite de la notation musicale, la pratique de gammes et d’autres exercices et une augmentation progressive de la complexité des pièces à jouer. C’est une approche ascendante qui part du simple vers le complexe.
Enseigner ou apprendre une tâche complexe en imitant la performance des experts est une approche descendante. Laisser découvrir ou apprendre de manière autonome comme il est de mise ne fonctionne pas très bien si l’enjeu est un apprentissage.
Cela ne signifie pas que cette voie est impossible, sauf que l’apprentissage autodidacte, même en groupes, n’est en général pas la voie la plus efficace. Apprendre dans un cadre social en bénéficiant d’un retour d’information sur notre pratique est plus efficace.
Mener à bien n’importe quelle tâche complexe nécessite de la décomposer en plusieurs étapes constitutives de taille réduite. Celles-ci doivent tenir compte des connaissances préalables, des connaissances implicites liées à l’exécution de la tâche et de la charge cognitive résultante.
Réaliser chaque étape impose de maitriser les techniques sur lesquelles elles sont fondées, les connaissances factuelles, procédurales et conceptuelles minimales permettant de les piloter de manière autonome. Acquérir des connaissances dans un domaine biologique secondaire impose une approche ascendante et de rendre visible et explicite le cheminement de la pensée.