Un cerveau livré sans mode d’emploi
Notre cerveau ne nous est pas délivré prêt à l’emploi et il n’est pas non plus muni d’un manuel d’utilisation. Au contraire, sa maitrise dans le cadre d’un apprentissage autonome requiert le développement de nombreuses compétences distinctes et l’acquisition de connaissances spécifiques pour certaines peu évidentes et contre-intuitives.
L’acquisition de ces compétences liées à l’apprentissage autonome bénéficie largement d’un enseignement explicite de diverses stratégies qui lui sont liées. Cependant, en général, l’école ne l’assure pas ou d’une manière peu efficace. Le développement de ces compétences liées à l’apprentissage autonome est souvent de la responsabilité unique des élèves et de leurs parents, moins celle de l’environnement scolaire.
Toutefois, par la force des choses, dans leur grande majorité, les élèves vont élaborer leurs propres stratégies pour étudier et s’organiser par essai et erreur et par tâtonnement. Ils vont procéder par essai/erreur selon l’apprentissage par la démarche d’investigation. Ils vont également récolter des conseils à gauche et à droite parfois non valides scientifiquement. Le résultat de telles démarches est que leur panoplie de stratégies est souvent incomplète. De plus, elles sont rarement utilisées de manière optimale.
Plus ennuyeux encore, il ne suffit pas de donner des conseils judicieux aux élèves pour qu’ils développent par la suite leurs compétences en apprentissage autonome de manière adéquate. Ils ont besoin de développer un modèle psychologique du fonctionnement de leur mémoire et d’acquérir la pleine maitrise de stratégies adéquates en s’engageant dans une pratique délibérée. Pour pleinement rencontrer un impact, cette démarche doit bénéficier d’une rétroaction experte.
Le fonctionnement de notre mémoire nous échappe en grande partie et notre perception tombe dans des pièges de multiples biais. L’établissement d’apprentissages profonds et durables est contre-intuitif pour une part non négligeable. De plus, nous possédons beaucoup de conceptions naïves ou erronées au sujet de notre mémoire. Par exemple :
Le fait de désirer apprendre des contenus n’a aucun impact direct sur la qualité de notre apprentissage. Un élève peut mémoriser des détails sans importance malgré lui et manquer de retenir les contenus essentiels d’une matière malgré son intention. Vouloir apprendre ne suffit pas à apprendre effectivement.
La répétition et la confrontation multiples à des contenus peuvent favoriser l’apprentissage, mais souvent ne sont pas suffisantes. Nous serions incapables de décrire tout ce qui se trouve sur un billet de 10 ou 20 euros par exemple malgré le nombre de fois où nous en avons utilisés. L’apprentissage ne peut pas être passif, mais doit être ciblé et guidé.
Une difficulté particulière est qu’en tant qu’enseignant, lorsque nous présentons des stratégies efficaces à nos élèves, il se peut qu’ils les testent, mais il est peu probable qu’ils les adoptent comme habitudes par défaut :
Un premier écueil est la difficulté rencontrée par les élèves dans leurs essais initiaux. Ils se sentent inefficaces lorsqu’ils les appliquent et tendent à retourner rapidement vers le confort de leurs approches usuelles. La pratique délibérée doit être prolongée, soutenue, renforcée et bénéficier d’une rétroaction pour mener progressivement à une utilisation fluide et maitrisée.
Un deuxième écueil est que les stratégies plus efficaces sont aussi plus exigeantes au niveau cognitif et induisent des difficultés désirables. Or par un sens de l’économie et de préservation de ses ressources limitées, notre cerveau tend à rejeter les efforts qui lui semblent couteux et sans bénéfices apparents. Ils fonctionne selon des principes qui sont bien plus anciens que notre espèce.
Un troisième écueil est que ces stratégies plus efficaces présentent surtout des avantages à moyen et long terme, mais sont régulièrement moins utiles à court terme ce qui nous rend peu perceptible leur intérêt direct.
Notre cerveau va résister pour ces trois écueils à l’adoption de stratégies efficaces. Il va nous encourager à adopter des stratégies qui nous semblent faciles et qui nous donnent l’impression de mener au succès rapidement. Dès lors, laissés à eux-mêmes, les élèves tendent à adopter des stratégies d’étude inefficaces et à négliger les stratégies d’étude réellement efficaces. Un enseignement explicite des stratégies liées à l’apprentissage autonome est par conséquent essentiel.