L’art de la sévérité contrôlée en gestion de classe
Lorsque nous agissons pour gérer un écart de comportement auprès d’un élève, nous devons garder le contrôle, mais également marquer la gravité du comportement visé.
Il est important de paraître un tant soit peu sévère et concerné lorsque nous corrigeons un élève. L’élève doit savoir que nous pensons ce que nous lui disons. Il doit pleinement comprendre que nous n’allons pas tolérer ce comportement et laisser faire s’il n’améliore pas son comportement. Cela reste vrai, peu importe la qualité de la relation que nous avons établie avec lui. C’est d’autant plus important de rester dans une relation d’adulte à l’élève.
Il existe plusieurs manières de faire preuve de cette forme de sévérité contrôlée. Elles impliquent toutes des changements dans le ton, dans l’expression de nos émotions et dans la forme de la communication. La plupart du temps, cela signifie qu’il faut légèrement amplifier de manière tacite notre réaction.
Comment manifester l’art de la sévérité contrôlée ?
Énoncer des normes attendues sous forme de phrases courtes, sans négation et à l’impératif : « Vous attendez votre tour pour prendre la parole », « Concentrez-vous sur la réalisation des exercices », « Vous devez parler à voix lors du travail coopératif », etc.
Nuancer le ton de la voix. Le rendre plus aigu, plus grave ou plus urgent selon ses spécificités vocales, de manière à créer un léger contraste avec notre ton normal. Notre ton est généralement calme, amical, chaleureux ou dynamique. Nous devons soudainement passer à un ton plus formel.
Accentuer l’expression faciale. Nous pouvons poser un regard plus intense, un contact visuel un peu plus long, une expression ferme et visiblement déçue, différente de notre expression détendue par défaut, qui est chaleureuse et plus joviale.
Utiliser un langage corporel. Nous pouvons ritualiser un mouvement de main net ou précis, lever la main et l’afficher. Nous pouvons mettre un doigt devant la bouche ou nous rapprocher méthodiquement des élèves concernés.
Tout cela pourrait sembler excessif et exagéré, mais la plupart des élèves ont besoin de ce niveau d’intensité appuyer pour comprendre l’importance et la signification d’une intervention de l’enseignant. Ces attitudes font partir du décorum et démontrent le sérieux de la situation. Tout cela est inscrit dans la nature même de l’échange hiérarchique entre enseignant et élève. C’est fondamentalement humain et culturel.
Le rôle des enfants et des adolescents et de tester les limites lorsqu’ils explorent le monde et les relations sociales. Le rôle des parents et des enseignants, des adultes en général, est de marquer les limites à ne pas franchir. Nous devons leur permettre de s’y conformer au profit de leurs apprentissages, de leur développement et de leur bien-être.
Agir de la sorte communique l’existence d’un impact émotionnel (mineur) sur nous lorsqu’ils sont à l’origine d’une perturbation. Cela montre sans ambiguïté que nous avons remarqué et que nous nous sommes souciés de ce qui s’est passé et voulons y remédier.
Il s’agit d’un formalisme, si nous étions réellement choqués ou profondément déçus, nous ne resterions pas enseignants à long terme. C’est également une alternative à la coercition, au contrôle ou à l’autoritarisme.
Il s’agit bien d’une sévérité contrôlée dont tout l’enjeu est d’exprimer que la certitude importe plus que la sévérité. Elle permet d’établir des limites très claires et de se donner le visage de l’intégrité sans celui de la tyrannie.
La sévérité contrôlée renforce le rappel à l’ordre auprès d’un élève lorsqu’il est nécessaire. Pour l’enseignant, c’est une manière de signaler qu’une ligne rouge a été dépassée, peu importe le contexte. Ce comportement est suivi rapidement par un retour au ton normal, amical et chaleureux.
La démarche est utile pour mettre un terme aux tentatives de contestation d’un élève par exemple. L’enseignant prend un autre visage lors d’une intervention, il est temporairement dans un autre rôle. Avec un ton d’une sévérité contrôlée, nous exprimons que la contestation n’est pas autorisée et juste après, le ton retourne à la normale avec un sourire, dès que l’élève s’y conforme.
De cette manière, il n’est nécessaire d’utiliser le ton sévère qu’occasionnellement. Les élèves de la classe se souviennent mieux des limites lorsque les usages de la sévérité contrôlée sont ponctuels et marqués par la survenue de certains événements types.
La sévérité contrôlée est ainsi un ingrédient à doser et à utiliser subtilement avec parcimonie. Lorsqu’elle est utilisée trop souvent, nous risquons d’exprimer de la colère en surenchérissant et les élèves peuvent se désensibiliser. Utilisée de manière systématique, elle peut générer un sentiment d’incohérence sur le fait que certains comportements sont un jour acceptables et ne le sont pas un autre jour. De même, ils peuvent être tolérés pour certains élèves et pas pour d’autres.
Si nous dosons bien la sévérité contrôlée et que nous l’appliquons avec maitrise, alors la limite ne sera pas atteinte aussi souvent. Les élèves anticiperont exactement ce qui va se passer s’ils n’inhibent pas tel ou tel comportement. Une analogie possible est celle avec une clôture électrique à basse tension autour d’une prairie. Nous savons où elle se trouve et ce qui se passera exactement si nous la touchons, donc nous ne le faisons pas. L’essentiel, c’est que la conséquence soit certaine — et non le niveau de gravité de celle-ci.
Jacob Kounin (1970) avait distingué les notions de fermeté et la rudesse dans le chef de l’enseignant dans le cadre de ses recherches sur l’effet de réverbération. La sévérité contrôlée correspond à sa conception de la fermeté. Elle s’adresse à l’élève fautif, mais envoie également un message aux autres élèves dans le but de favoriser un climat de classe coopératif.