Limites d'une perspective naturaliste ou individualiste de la gestion du comportement
Les limites d’une approche naturaliste ou innée de la gestion de classe
La recherche a largement démontré qu’une gestion de classe efficace est un prérequis essentiel pour un enseignement efficace.
Pourtant, sur le terrain, cette considération se trouve parfois en conflit avec certaines conceptions. Ces conceptions peuvent être :
Influencées par différents courants pédagogiques
Issues d’expériences de terrain dans des contextes particuliers.
Certains pédagogues adhèrent à une vision naturaliste de l’apprentissage.
Dans cette perspective, apprendre à lire ou à faire des mathématiques devrait être comme apprendre à marcher ou à parler, sans effort et agréable.
Cependant, il existe une différence fondamentale comme le montre David C. Geary entre les connaissances biologiques primaires que nous apprenons seuls (apprentissage adaptatif) et les connaissances biologiques secondaires qui nécessitent un enseignement soutenu (apprentissage scolaire).
Dans cette perspective, si des élèves se comportent mal, alors c’est à l’enseignant d’adapter son cours pour réussir à intéresser et à mobiliser ses élèves. Il s’agit de susciter leur intérêt, leur collaboration et leur créativité.
Toutefois, c’est un mythe de croire que les enseignants efficaces peuvent prévenir les problèmes de comportement en utilisant seulement des supports de cours, des activités et des approches pédagogiques attrayantes et stimulantes pour leurs élèves.
Les problèmes éventuels et les difficultés que rencontrent les élèves vont exister par-delà l’intérêt des activités proposées aux élèves. Ne pas leur apporter une réponse éducative d’emblée et préventive, centrée sur la gestion du comportement, est profondément inégalitaire.
Les conceptions de terrain de certains enseignants chevronnés sont moins philosophiques et plus individualistes :
Le risque est que leurs conceptions vont présenter souvent les mauvais comportements d’élèves, rencontrés par certains de leurs collègues et spécialement des novices, comme étant une preuve de leurs lacunes pédagogiques. Avoir une bonne gestion de classe est un devoir que doit manifester un enseignant et ne pas y arriver marque par conséquent une faiblesse.
L’enseignant qui n’a pas réussi à obtenir de bons comportements de la part de ses élèves doit manquer de charisme ou d’une autorité naturelle.
Enseigner est exigeant et demande de faire face à la complexité. Toutefois, il existe des stratégies pratiques bien définies par la recherche que les nouveaux enseignants peuvent acquérir par une formation et une pratique délibérée. Elles peuvent grandement contribuer à développer leur expertise professionnelle en gestion de classe.
Le danger d’une conception romantique de la gestion de classe
Comme l’écrit Greg Ashman (2019), pour des raisons idéologiques, certains enseignants, pédagogues ou éducateurs sont profondément opposés à s’attaquer directement à la problématique de la gestion de classe dans sa dimension comportementale.
Ils développent une vision romantique de l’enfance et de l’adolescence. Dans celle-ci, les élèves, au lieu d’être des individus complexes qui ont parfois un comportement inadéquat ou mal intentionné, sont potentiellement totalement innocents, irréprochables ou victimes de la situation.
Les racines de cette vision sont à retrouver dans le contexte du début du XXe siècle, lorsque les tenants de l’Éducation nouvelle ou progressive s’insurgeaient contre le recours aux châtiments corporels à l’école.
Lorsque nous adoptons vision romantique de la gestion de classe :
Les tentatives de gestion du comportement sont perçues comme béhavioristes et dès lors considérées comme coercitives ou de l’ordre du « dressage ».
Un mauvais comportement n’est pas considéré comme un signe qu’un élève a fait le mauvais choix, mais comme un acte de communication à comprendre.
En se comportant mal, l’élève communique à l’enseignant que ses besoins ne sont pas satisfaits. L’interprétation faite dans la foulée est que le cours proposé n’est pas assez attrayant ou stimulant. Cela revient à rejeter la responsabilité du mauvais comportement sur l’enseignant.
La faille de ce raisonnement est que l’apprentissage scolaire demande des efforts. Dès lors, l’attitude des élèves oscillera naturellement, selon leurs biais motivationnels, entre travail et relâchement. Donner un cadre est nécessaire et c’est la fonction première de la gestion de classe. Elle va faciliter l’engagement des élèves dans le travail scolaire.
Rendre les cours intéressants, attrayants, authentiques, peut ne fonctionner qu’un certain temps et ne mènera pas nécessairement à un apprentissage de qualité pour les élèves.
En nous focalisant sur l’enseignement, nous ne nous attaquons pas à la cause profonde du problème et cela ne peut entrainer qu’un déficit d’efficacité.
Risques d’une vision naturaliste ou romantique de la gestion de classe
Partons du principe que la meilleure façon de prévenir un comportement inapproprié serait de proposer des activités stimulantes et adaptées au développement de l’élève considéré. L’enseignant qui adopte cette approche a toutes les chances d’obtenir une plus grande conformité à court terme et de plaire à ses élèves.
À long terme, le coût se répercute sur la qualité des apprentissages effectués par les élèves, ce qui constitue toutefois la mission première de l’enseignement.
Faille #1 : Les élèves qui présentent des troubles du comportement non accompagnés de troubles de l’apprentissage vont se voir proposer plus d’activités ludiques qui se traduisent par moins d’apprentissages effectifs. Ainsi plutôt que d’apporter des adaptations sélectives en matière de gestion du comportement, l’enseignant se retrouve simplement à diminuer les attentes pour ce profil d’élève.
Faille #2 : Cette approche mise principalement sur la curiosité et un intérêt situationnel des élèves dans le but de susciter une motivation intrinsèque chez ces derniers. Or, ces approches fonctionnent principalement à court terme. En cas d’absence d’un intérêt individuel qui repose sur une motivation intrinsèque, nous aurions plus d’intérêt à explorer la voie d’une motivation extrinsèque pour arriver à générer des apprentissages. Cette dernière ne présuppose pas de se focaliser sur des activités stimulantes par nature. Les occasions de réussite permises par l’intermédiaire d’une motivation extrinsèque sont propices au développement progressif d’une motivation intrinsèque. En cherchant à intéresser les élèves plus qu’en leur donnant des occasions de maîtrise, nous pouvons nous retrouver à ne pas développer complètement leur potentiel et leur motivation.
Faille #3 : La perspective naturaliste peut nous conduire à une situation où la direction de l’école délègue à ses enseignants la responsabilité d’encadrer la gestion du comportement des élèves. Si des problèmes persistent, c’est parce que les enseignants n’arrivent pas à intéresser suffisamment leurs élèves à travers les activités qu’ils leur proposent. Cette vision peut inciter les enseignants à planifier des leçons attrayantes qui expriment moins d’attentes élevées en lien direct avec des apprentissages spécifiques. Dans cette perspective, les résultats des élèves peuvent se détériorer et leurs comportements peuvent rester dérangeants, car ils ne sont pas l’objet d’une réponse. Cela peut avoir un effet négatif sur le sentiment d’efficacité personnelle de l’enseignant. Les efforts pour intéresser les élèves et adapter la pédagogie peuvent contribuer à favoriser un sentiment d’épuisement professionnel.