Réfléchir aux démarches liées à l'évaluation formative
S’interroger sur la pertinence des corrections liées à l’évaluation formative
Une charge de travail importante est une des raisons qui peut pousser des enseignants débutants à abandonner la profession. Un des principaux accusés est le temps consacré à la correction des productions et évaluations réalisées par les élèves. Celles-ci peuvent correspondre à des démarches formelles d’évaluation qui correspondent à une fonction formative et à une fonction évaluative.
Ces copies peuvent s’accumuler en piles si nous n’y prenons pas garde. Elles deviennent une source d’anxiété et plombent des soirées et du temps de weekend pour des enseignants consciencieux. Une correction détaillée accompagnée d’une rétroaction adéquate est consommatrice en temps.
Considérons qu’un enseignant consciencieux va consacrer en moyenne une heure de travail par jour pour faire des corrections détaillées et rédiger des commentaires personnalisés. Cela représente 5 heures par semaine, soit environ 200 heures par an. Dans une école secondaire de 100 enseignants, nous arrivons à 20 000 heures passées à réaliser des corrections par an.
Nous pouvons raisonnablement nous poser la question du rapport coût/bénéfice de telles pratiques :
Le temps passé à faire des corrections et des commentaires ne peut pas être utilisé à d’autres démarches d’enseignement parfois plus productives.
Cette charge de correction fait que le retour d’information offert aux élèves est parfois décalé dans le temps, ce qui en limite l’impact et l’intérêt.
De plus quel contrôle ou quelle certitude est-ce que l’enseignant peut avoir de la prise en compte de son travail de correction et de rétroaction par l’élève pour progresser ?
La difficulté de la correction de traces formelles est que ce n’est pas une action qui permet des économies d’échelle. Corriger, noter et rédiger une rétroaction sur une copie est une opération unique, adressée à un seul élève qui en fera lui-même un usage souvent très ponctuel.
Nous devons reconnaitre que cette démarche est nécessaire et indispensable pour toute tâche sommative. Elle contribue à évaluer l’apprentissage de l’élève afin de certifier des apprentissages.
Mais qu’en est-il pour les tâches formatives ? Que pourrions-nous faire pour avoir un impact bien plus positif sur plus d’élèves et à moindre coût pour les enseignants ?
De multiples pistes existent, d’une approche plus informelle (technique de vérification de la compréhension), à celle de la rétroaction à la classe entière, des auto-évaluations en ligne jusqu’aux concepts de boucle formative (Pays-Bas), de notation constructive (Suisse) et d’enseignement adaptatif (Angleterre).
Nager, sombrer ou surfer
Avant d’explorer ces pistes, un état des lieux peut être utile :
Pour cela, nous allons procéder par une analogie au départ de trois positions face aux corrections, à la rétroaction et à l’impact sur les élèves des productions et évaluations formelles formatives :
La première position, c’est nager :
C’est se contenter de maintenir la tête hors de l’eau, c’est se laisser emporter par le fil du temps.
Les vagues et les échéances se succèdent et nous nageons tant bien que vaille avec plus ou moins d’effort selon la météo.
Les piles de feuilles apparaissent et sont traitées au fur et à mesure comme une charge qu’il faut bien assumer.
On ne sait pas très bien l’impact qu’elles ont, certains élèves en profitent d’autres pas, mais on fait le job et on informe les parents et les élèves.
La deuxième position, c’est sombrer :
C’est la sensation d’être sous la surface de l’eau, d’être dépassé, de ne pas pouvoir suivre et de se noyer.
Trop d’évaluations à préparer, à donner et à corriger, avec les échéance squi arrivent et le programme à clôturer.
Correction et remarques ne sont pas toujours prises sérieusement par les élèves et cela donne un sentiment parfois de trop-plein de gâchis. L’enseignant a la ferme impression de travailler bien plus que ses élèves.
La troisième position, c’est surfer :
C’est l’apogée, c’est le sentiment d’être au sommet de son art et que rien ne peut l’arrêter.
Les évaluations formatives sont ponctuelles, tombent au bon moment, soutiennent l’apprentissage des élèves.
Les élèves prennent en compte les remarques, progressent. Pour l’enseignant, c’est surtout un sentiment de mission accomplie et d’efficacité. Les élèves travaillent bien plus que lui.
On peut partir de l’idée que tout le monde fait l’expérience de chacun de ces états à un moment ou à un autre et dans des proportions différentes. C’est une condition pour progresser et pour s’adapter au contexte :
Nager, c’est un peu avoir le nez dans le guidon, il faut pouvoir prendre du recul pour réfléchir et voir quels ajustements pourraient être utiles pour tous.
Sombrer c’est un signal d’alerte, même si c’est temporaire, il faut pouvoir reconnaitre que quelque chose n’est pas optimal et qu’il faudrait le changer.
Surfer, c’est la situation idéale vers laquelle on a tous envie de tendre, qu’on rencontre parfois, mais qu’il n’est pas toujours possible de maintenir, car le contexte révèle parfois des surprises.
Notre enjeu ici est de créer un environnement d’apprentissage positif, dans lequel les élèves peuvent apprendre et dans lequel les enseignants peuvent enseigner.
Objet du travail par équipes
Personnellement et par équipe l’enjeu est d’expliquer pour les trois types de situations : nager, sombrer et surfer, ce à quoi cela correspond dans vos pratiques d’évaluation formative (formelle, informelle ou de rétroaction).
Nous prenons la perspective de ce que nous pouvons ressentir tout au long d’une année scolaire normale face à différents types de classes.
Dans un premier temps, chacun réfléchit seul.
J’ai l’impression de nager quand …
J’ai l’impression de sombrer quand …
J’ai l’impression de surfer quand …
Dans un second temps, une mise en commun se fait. L’idée est d’arriver par équipe à une synthèse (à remettre) qui exprime les démarches liées à l’évaluation formative à l’école propre à votre discipline et identifier :
Ce qui marche bien (surfer)
Ce qui demanderait une réflexion, car ça ne marche pas bien pour certaines classes ou ça n’a pas d’impact suffisant pour une certaine proportion d’élèves (sombrer)
Ce qui fonctionne déjà bien, mais qu’on pourrait améliorer encore en y travaillant ensemble et en se donnant les moyens (nager).
L’idée sera ensuite :
De créer un document commun sur ce qui marche bien dans l’école et mérite d’être diffusé et utilisé par plus d’enseignants et d’équipe (surfer)
Ce qui peut être un projet d’amélioration pour l’équipe cette année (nager)
Ce sur quoi une réflexion mérite d’être menée par un nouveau groupe éphémère.