Segmentation et séquencement en enseignement explicite
La décomposition étape par étape des contenus à enseigner est un équilibre à trouver entre deux tendances :
La segmentation des informations nouvelles :
L’enjeu est de viser à réduire la charge cognitive ressentie par les élèves, par le biais d’une présentation fractionnée des contenus à enseigner.
Lorsque la charge cognitive est à l’intérieur des limites de la mémoire de travail des élèves concernés par les informations nouvelles, l’apprentissage peut mieux se dérouler.
Le séquençage des informations nouvelles :
L’enjeu est de viser à faciliter l’intégration par les élèves, de nouvelles connaissances en mémoire à long terme en lien avec leurs connaissances préalables.
Lorsque les contenus sont découpés, il y a un risque de fractionnement de l’attention lié à la difficulté de relier et d’intégrer chacun des segments entre eux.
La logique du séquençage des fragments doit elle-même soutenir l’apprentissage.
La segmentation considère l’idée d’enseigner individuellement des sous-tâches ou des sous-concepts avant de les rassembler et de les intégrer. Le séquençage s’intéresse à l’ordre et à la progressivité des segments.
Le séquençage fait plus particulièrement partie de la réflexion et de la théorie générales sur la gestion de la charge cognitive dans les tâches complexes et dans des domaines d’interactivité des éléments élevée.
Lorsque les connaissances nouvelles ont peu de liens entre elles, le séquençage est aisé. Lorsqu’elles sont très reliées entre elles, le choix du séquençage devient plus complexe et crucial.
Une question clé est prendre en compte la relation entre :
Le principe de l’attention partagée : pour lequel l’intégration des informations en un seul endroit conduit à une charge cognitive plus faible.
Le séquençage ou la segmentation : pour lesquels la division des informations aide à gérer la charge cognitive globale.
Cette problématique se résume en une phrase : Quels segments constituer et dans quel ordre les séquencer dans le cadre d’un enseignement explicite ? Sa réponse est spécifique à la nature des contenus à enseigner.
Divers exemples issus de la recherche montrent que les choix posés par l’enseignant dans sa conception didactique et pédagogique ne sont pas neutres :
Un premier exemple est celui de l’enseignement du vocabulaire au préscolaire. L’usage de livres d’images y est un moyen efficace de soutenir l’apprentissage des mots par les enfants d’âge préscolaire :
L’enseignement se fait souvent pendant la lecture du livre, mais cela peut augmenter la charge cognitive par rapport à l’enseignement du vocabulaire avant ou après la lecture du livre.
Si l’enseignement dispensé pendant l’histoire augmente la charge cognitive, les enfants peuvent être plus dépendant de capacités cognitives auxiliaires pour réussir à apprendre les mots tout en cherchant à comprendre l’histoire.
Jimenez et Saylor (2017) ont testé cette question. Ils ont mesuré l’impact de l’enseignement du vocabulaire des livres d’images pendant la lecture (condition intérieure), par rapport à celui ayant lieu après ou avant la lecture du livre (condition extérieure). Les enfants ont ensuite été testés sur leur capacité à identifier les éléments nommés, à généraliser à des exemples non familiers et à comprendre l’histoire :
L’apprentissage des mots et la compréhension de l’histoire étaient similaires dans les conditions intérieures et extérieures.
Les capacités de mémoire étaient des prédicteurs plus forts de l’apprentissage des mots dans la condition interne que dans la condition externe.
Ces résultats suggèrent que l’enseignement interactif du vocabulaire pendant l’histoire peut solliciter davantage les ressources cognitives des enfants d’âge préscolaire et ne convient pas forcément à tous les enfants.
Un deuxième exemple est celui de Kester et ses collègues (2005) qui ont traité de l’effet des informations séquentielles, étape par étape auprès d’élèves du secondaire (âge moyen de 15 ans). Leur étude traite de l’effet de la présentation d’informations déclaratives et d’informations procédurales de manière séquentielle par rapport à une présentation simultanée, avant et pendant la pratique du dépannage de circuits électriques défectueux. Les chercheurs ont montré qu’une approche par étapes permettait une meilleure gestion des ressources de la mémoire de travail et facilitait l’apprentissage.
Un troisième exemple est celui de Alam et Zaman (2011) qui ont comparé pour des élèves du secondaire en mathématiques (13-15 ans) :
Un enseignement soutenu par des devoirs préalables à la leçon utilisant une approche par étapes
Un format d’enseignement traditionnel.
Cette stratégie de préapprentissage a été testée dans le but de minimiser la charge sur la mémoire de travail afin d’améliorer la compréhension des élèves en mathématiques.
Les chercheurs ont constaté que l’approche préalable à la leçon améliorait la compréhension des mathématiques par les élèves. La réduction de la demande de la mémoire de travail par le biais des devoirs préalables à la leçon favorise la compréhension.
Un quatrième exemple est celui de Van Zundert et ses collègues (2012), qui ont étudié l’enseignement de l’évaluation par les pairs lors de l’exécution de tâches complexes. Cette approche peut entraîner une charge cognitive élevée, ce qui nuit à l’apprentissage.
Une stratégie d’enseignement par étapes visant à réduire la charge cognitive a été étudiée en la comparant à une stratégie d’enseignement combinée.
La démarche a eu lieu dans le cadre d’une expérience menée auprès de 128 élèves de l’enseignement secondaire (âge moyen : 14,0 ans ; 45,2 % de garçons).
Les résultats suggèrent que, pour les tâches d’étude complexes, il pourrait être bénéfique d’enseigner les compétences spécifiques au domaine avant les compétences d’évaluation par les pairs.
Lorsque les compétences d’évaluation par les pairs sont superposées aux compétences spécifiques au domaine, elles souffrent davantage lorsqu’une charge cognitive plus élevée est induite par une complexité accrue de la tâche.
En conclusion, les questions du séquençage et de la segmentation demandent à la fois une bonne compréhension du système cognitif humain et de la manière dont se construisent les connaissances et les compétences dans un domaine spécifique de savoir.