Un double système cognitif entre apprentissage adaptatif et apprentissage scolaire
Dans la perspective de la psychologie évolutionniste de l’éducation, nous pouvons considérer l’existence d’un double système cognitif lié à l’apprentissage, on parlera d’un :
Apprentissage adaptatif pour les connaissances biologiques primaires
Apprentissage scolaire pour les connaissances biologiques secondaires.
Ce cadre théorique est essentiel pour comprendre les fondements de l’apprentissage humain et pour éclairer les pratiques pédagogiques. Cette distinction a été développée par David Geary (2007, 2008). Elle permet d’expliquer pourquoi certains apprentissages sont intuitifs et rapides, tandis que d’autres sont lents et exigeants, et d’en déduire des implications cruciales pour la conception des environnements éducatifs.
Les connaissances biologiques primaires sont le résultat de l’évolution et de la sélection naturelle. Elles ont été cruciales pour la survie et la reproduction de nos ancêtres. Les connaissances biologiques primaires concernent les informations que nous avons évolué pour acquérir naturellement sur des milliers de générations.
L’acquisition des connaissances biologiques primaires nécessite peu d’effort cognitif conscient. Elles n’ont pas besoin d’être enseignées, car nous les acquérons facilement, automatiquement et inconsciemment. Elles sont souvent intrinsèquement motivantes et se développent par l’exposition, l’exploration, le jeu et l’interaction sociale. Bien que certaines de ces activités soient immensément complexes du point de vue du traitement de l’information, mais nous les trouvons simples parce que nous avons évolué pour les acquérir — car elles sont essentielles à notre survie.
On parle à leur sujet d’un apprentissage adaptatif. Des exemples typiques incluent l’acquisition du langage oral, la reconnaissance des visages, la navigation spatiale, la compréhension des intentions d’autrui ou les compétences générales de résolution de problèmes (Geary, 2007). Une part conséquente d’entre elles correspond à des compétences cognitives génériques qui sont au cœur de l’activité cognitive humaine.
Les connaissances biologiques secondaires sont des acquisitions culturelles et technologiques récentes, essentiellement postérieures à l’invention de l’écriture. Elles comportent des informations qui sont culturellement importantes pour nous, mais pour lesquelles nous n’avons pas spécifiquement évolué. Elles n’ont pas eu le temps d’être intégrées génétiquement à notre ADN.
Nous avons évolué pour acquérir des compétences générales (biologiquement primaires) en matière de résolution de problèmes parce qu’il est difficile pour nous de survivre en tant qu’êtres humains sans elles. Cependant, la plupart des gens peuvent survivre de manière adéquate sans jamais apprendre la solution d’une équation du second degré ou le principe de la vaccination qui sont des connaissances biologiques secondaires.
L’école est le lieu par excellence de l’acquisition des connaissances biologiques secondaires, telles que la lecture, l’écriture, les mathématiques complexes ou les concepts scientifiques abstraits (Geary, 2008). Les connaissances biologiquement secondaires sont spécifiques à un domaine. Elles requièrent un apprentissage explicite, délibéré, conscient et souvent laborieux. Les écoles ont été conçues précisément pour enseigner des informations biologiquement secondaires — car sans elles, ces informations ont tendance à ne pas être acquises. Ces apprentissages sollicitent des fonctions cognitives de haut niveau comme la mémoire de travail, l’attention sélective et les fonctions exécutives.
La distinction entre connaissances biologiques primaires et connaissances biologiques secondaires met en lumière un désalignement au cœur de l’architecture cognitive humaine. Celle-ci est optimisée pour l’apprentissage des connaissances biologiques primaires, et non pour les exigences de l’éducation formelle axée sur les connaissances biologiques secondaires. Ce désalignement explique un grand nombre de défis rencontrés par les apprenants :
Un coût cognitif élevé :
L’acquisition des connaissances biologiques secondaires est intrinsèquement plus coûteuse en ressources cognitives. Les connaissances biologiques primaires s’appuient sur des modules cognitifs spécialisés et efficaces. Elles échappent aux limitations de la mémoire de travail tandis que les connaissances biologiques secondaires y sont contraintes, ce qui les rend bien plus difficiles à apprendre. L’apprentissage des connaissances biologiques secondaires demande un effort conscient important et est sujet à une charge cognitive élevée (Sweller, 1988).
Les interférences des conceptions naïves :
Les conceptions naïves appartenant aux connaissances biologiques primaires peuvent entrer en conflit avec les connaissances scientifiques formelles des connaissances biologiques secondaires, générant des obstacles à l’apprentissage. Par exemple, la physique naïve peut amener à croire qu’une force est nécessaire pour maintenir un mouvement, contredisant les lois de Newton (Vosniadou & Brewer, 1992). L’enseignement doit alors viser à la restructuration conceptuelle plutôt qu’à la simple addition de connaissances.
Des biais motivationnels :
L’apprentissage des connaissances biologiques secondaires est moins souvent intrinsèquement motivant, car il n’active pas directement les systèmes de récompense associés aux connaissances biologiques primaires. La motivation pour les connaissances biologiques secondaires repose souvent sur des facteurs extrinsèques ou sur la reconnaissance d’avantages à long terme (Geary, 2008).
Les fondements biologiques primaires des connaissances biologiques secondaires :
Les enseignants peuvent s’appuyer sur les mécanismes d’apprentissage des connaissances biologiques primaires pour faciliter l’acquisition des connaissances biologiques secondaires. Cela implique de contextualiser les apprentissages abstraits, d’utiliser des récits, des jeux, des simulations ou des manipulations concrètes qui engagent les processus intuitifs et adaptatifs des élèves (Geary, 2007).
L’importance de l’enseignement explicite :
Pour les connaissances biologiques secondaires, un enseignement explicite, systématique et structuré est indispensable. Il doit inclure des instructions claires, un étayage approprié, une pratique guidée puis autonome, accompagnées d’une rétroaction précise pour aider les élèves à développer les schémas cognitifs des connaissances biologiques secondaires.