Mettre en œuvre l’entremêlement
Comment un élève doit-il planifier son étude d’un cours donné, lorsque les différentes parties présentent à la fois des similitudes et des différences profondes, afin d’optimiser son apprentissage et éviter les erreurs de discrimination ?
De même comment un enseignant doit-il procéder pour maximiser l’impact de ses cours ? Comment permettre à ses élèves d’apprendre avec une vision d’ensemble sur la matière ? Comment éviter qu’ils considèrent et conçoivent un cours uniquement comme un ensemble de chapitres, voire de « cases », peu connectées et relativement indépendantes les unes des autres ?
La technique de l’apprentissage entremêlé offre de réelles pistes de réponse en s’opposant tout d’abord à un apprentissage purement séquentiel.
Commençons par différencier et expliciter ces deux approches :
Considérons un cours de mathématiques ou de sciences où de nombreuses formules et concepts voisins doivent être introduits.
L’entremêlement va convenir particulièrement bien à tous les domaines utilisant des mathématiques ou présentant une forte interactivité des éléments. C’est le cas de la physique ou de la chimie également. C’est également le cas de cours modélisant des processus complexes et variés comme la biologie, l’informatique ou les sciences économiques. L’entremêlement peut également être pertinent pour l’apprentissage de l’orthographe ou de la grammaire dans un cours de langue.
Cas de l’apprentissage séquentiel
Intuitivement et de prime abord, l’approche naturelle sélectionnée par l’enseignant pour voir le cours ou par l’élève pour l’étudier pourrait être l’approche séquentielle :
Dans un cours de mathématiques :
Nous enseignons la première formule ou le premier concept.
Puis nous passons à de la pratique dans ce cadre d’une série d’exercices similaires [technique du « drill »].
Ensuite, nous passons à l’étude de la deuxième formule ou du deuxième concept puis de ses applications, ainsi de suite.
.Dans un cours de biologie :
Un élève aurait tendance à étudier point par point ou page après page, d’un bout à l’autre du cours.
De même, un enseignant pourrait avoir tendance à suivre le fil conducteur d’une matière en effectuant peu de retours vers les chapitres précédents.
Par exemple, il pourrait voir chronologiquement le système nerveux, puis le système immunitaire, puis le système endocrinien et la procréation, chacun de manière isolée l’un de l’autre comme des entités propres.
Si une unité de cours comprend trois concepts, un enseignant procéderait généralement dans l’ordre suivant :
Le premier concept est vu, suivi de trois questions (a1a2a3)
Le deuxième concept est vu avec trois questions (b1b2b3)
Le dernier concept est vu avec trois questions (c1c2c3).
Cela signifie que les élèves seront exposés à des tâches dans un ordre bloqué, ordonné et inamovible : a1a2a3b1b1b2b3b3c1c2c3.
(source : 3-star learning experiences)
D’une manière similaire, lorsque l’élève va étudier ce chapitre chez lui, il y a de grandes chances qu’il va à son tour suivre la même logique que l’enseignant.
Un élève va généralement étudier les contenus d’un cours dans leur ordre chronologique et respecter cet ordre à chaque période de révision.
Élèves et enseignants ont tendance à privilégier une telle approche séquentielle parce que :
Elle semble la plus efficace, car elle respecte la chronologie du cours.
Elle est la plus simple à planifier et donne une impression de contrôle.
Elle est facile à mettre en œuvre.
Elle permet de visualiser en matière de nombre de pages l’avancement de l’étude ou de l’enseignement.
Elle permet un avancement rapide et ne génère que peu de blocages et ralentissements. Nous allons du simple vers le complexe dans chaque unité isolée.
Si cette approche purement séquentielle peut sembler intuitivement pertinente, les résultats de la recherche en sciences cognitives montrent qu’en réalité cette méthode n’est pas la plus efficace.
La recherche démontre qu’il existe une meilleure façon d’aider les élèves à pratiquer, c’est l’entremêlement.
Cas de l’apprentissage entremêlé
Dans cette approche, nous commençons par voir et étudier différentes formules rapidement, ainsi que leurs procédures et conditions d’application.
Dans un second temps seulement nous passons à des exercices variés dont la réalisation va demander un effort supplémentaire d’analyse des critères et de rappel en mémoire de la formule à appliquer dans chaque cas. C’est ce que nous appelons également la variabilité de la pratique.
Pour en revenir au précédent exemple, l’exposition aux concepts serait suivie des applications qui en découlent. Lorsque la pratique serait entremêlée, l’ordre des tâches d’application pourrait ressembler à ça (a1 b1 c1 b1 b2 c2 c2 a2 c3 b3 b3 a3).
Une question portant sur un concept est suivie aléatoirement d’une question portant sur un autre concept, sans qu’il soit précisé explicitement quelle est la règle ou la procédure à appliquer parmi toutes celles disponibles.
De manière similaire, un élève pourrait refaire les exercices et problèmes d’un cours dans un ordre chronologique 1-2-3, puis changer cet ordre à chaque période de révision (2-3-1, 3-1-2, etc.) pour mieux se tester.
Un danger potentiel de cette approche est de ne pas tenir compte de la charge cognitive que cela peut représenter pour les élèves. C’est pourquoi nous pouvons également opter pour une approche intermédiaire. C’est-à-dire voir chaque concept suivi de quelques exercices d’applications jusqu’à développer une certaine maitrise, puis passer ensuite à une série d’exercices et de problèmes mélangés.
Ce type d’apprentissage et d’enseignement est plus difficile à adopter. Cela reste vrai même si la mise en place est simple et ne demande pas d’adaptation majeure. La mise en œuvre de l’entremêlement demande plus d’effort et d’attention. Il exige une planification minutieuse, car les supports de cours ou les manuels ne sont généralement jamais conçus comme cela. De même, les progrès lors de l’apprentissage sont bien plus ralentis à court terme, mais largement payants à long terme puisqu’ils seront plus durables et en profondeur.
Souvent, l’entremêlement est une stratégie qui peut sembler inconfortable et ardue pour l’apprenant ou même l’enseignement. Ils peuvent avoir l’impression que ça n’avance pas et que donc c’est inefficace.
L’entremêlement multiplie les blocages et les erreurs dans un premier temps, car souvent il faut une phase de réflexion et de recherche pour réussir à déterminer quelle est la bonne méthode à appliquer. Nous devons devenir capables de relier les concepts présents implicitement dans l’énoncé à ceux vus explicitement dans le cours.
Les données de la recherche ont montré que l’apprentissage entremêlé est plus efficace que l’apprentissage séquentiel dès que les élèves ont développé un certain niveau de maitrise de chacun des éléments.
L’entremêlement améliorera de manière générale les résultats à un examen final s’il est bien mené. Cet avantage est défini ici comme l’effet d’entremêlement.
Exemples d’entremêlement
Par exemple, en mathématiques, nous pouvons viser à ce que les élèves apprennent à calculer aisément la surface d’un quadrilatère. Plutôt que de séquencer la surface de rectangles, suivie de celles de triangles, puis de trapèzes et finalement de losanges dans des cours différents, nous pouvons adopter une approche entremêlée.
(source : Memento degremont)
L’enseignant commence à modeler chaque type de calcul d’aire et il intègre de la pratique guidée au fur et à mesure de son modelage.
Ensuite, pour la suite de sa pratique guidée puis autonome, il propose aux élèves des exercices entremêlés de calculs de surface. L’élève doit ainsi mobiliser successivement et dans le désordre chacune des formules. Cela lui demande de rester attentif de bout en bout. Ce faisant, les élèves vont directement apprendre à discriminer plutôt que se placer en mode automatique et résoudre machinalement des suites d’exercices similaires.
Dans un cours de langue, nous apprenons par exemple à nos élèves à conjuguer des verbes réguliers ou irréguliers. Dans les exercices de pratique que nous leur proposons, il est plus pertinent de mélanger systématiquement des verbes réguliers avec des verbes irréguliers. Nous croiserons la règle générale avec les cas particuliers sans prévenir ce qui va développer leur capacité de discrimination.
Avec l’entremêlement, il faut rester attentif à sa limite d’application qui recouvre des éléments de matière pour lesquels des erreurs de discrimination sont potentielles. Il n’y aurait aucun avantage par contre à entremêler des exercices de mathématiques avec des exercices de conjugaison d’un cours de langue. Il n’y en aura pas plus à mélanger des exercices de géométrie dans l’espace avec des exercices de probabilité en mathématiques.