Privilégier les sciences cognitives à la neuroéducation
Tout ce que nous faisons dire aux neurosciences sur l’éducation d’une manière ou d’une autre est rarement vraiment légitime. Les vrais résultats des neurosciences ont très peu de pertinence directe pour l’éducation. Il existe un grand écart entre ce qui se passe dans le cerveau et entre ce qui se passe dans une classe. De nombreux autres facteurs interviennent et influencent les résultats obtenus.
Deans for Impact (2020) propose de distinguer les sciences cognitives des neurosciences:
Les neurosciences décrivent des processus neurobiologiques dans le cerveau qui ne nous semblent pas particulièrement utiles à connaître pour les enseignants, du moins pour l’instant.
Il existe une différence entre :
Un processus cognitif qui se manifeste par un comportement — que les enseignants observent et tâchent de comprendre
Et la réaction chimique ou biologique sous-jacente qui se produit en dessous (qu’ils ne comprennent pas et ne peuvent observer).
Une analogie peut aider à expliquer cette différence. Il n’est pas nécessaire de savoir comment fonctionne le moteur à combustion interne pour conduire une voiture. Il faut cependant savoir comment se comporter dans l'habitacle d'une voiture pour la faire démarrer et la piloter.
Souvent, derrière le terme neuroéducation, dans les meilleurs ouvrages sur le sujet, il est surtout fait appel à des concepts de psychologie cognitive. Il est alors question de sujets comme l’attention, la mémoire de travail, la récompense, la motivation, la métacognition, l’autorégulation, le stress, l’inhibition, la récupération en mémoire, les fonctions exécutives, les effets de fréquence…
Ces concepts de la psychologie sont étudiés également en neurosciences où nous étudions leurs bases cérébrales et neuronales. Peut-être que ces concepts de psychologie sont parfois déguisés en neurosciences pour les faire apparaître plus crédible ?
Tout ce que proposent les neurosciences ou la psychologie cognitive notamment sur le fonctionnement du cerveau n’est pas pertinent dans le domaine de l’enseignement. Toutes deux peuvent être instructives et valider certaines théories qui sont susceptibles d’avoir des implications dans l’enseignement. Mais leur mise en pratique repasse par des expérimentations en classe qui nécessitent l’implication des sciences de l’éducation. Il n’y a pas de raccourci possible pour une validation scientifique.
Les neurosciences sont intéressantes dans la mesure où elles permettent de comprendre les mécanismes sous-jacents au niveau neuronal de ce que nous observons à d’autres échelles (le phénomène de l’inhibition est un bon exemple de cela). Mais ce sont ces autres échelles macroscopiques qui sont en rapport direct avec les processus d’apprentissage et d’enseignement. Les neurosciences peuvent apporter une contribution à l’éducation, mais seront incapables de la refonder. En ce sens, le terme « neuroéducation » est un pléonasme, car pour tout apprentissage humain les neurones sont évidemment impliqués.
Tout engouement pour les neurosciences est une arme à double tranchant, ça rend les choses plus convaincantes, au moins en apparence, mais ça peut revenir comme un boomerang. Certains enseignants sont enthousiastes, d’autres développent un scepticisme qui peut mener à un rejet du discours de la psychologie et à travers ça de l’éducation fondée sur les preuves.